Carnet sombre

Le faucheur d'âmes et l'Aube Divine



La terreur du faucheur d’âmes

Alors que les démons étaient autrefois monnaie courante, que chaque chemin sentait le souffre et que des sons inhumains résonnaient nuit et jour dans les montagnes, il existait une créature qui imposait même le silence parmi ses alter ego démoniaques. On l’appelait le faucheur d’âmes.

Les descriptions de cette créature sont rares et ne correspondent pas entre elles. On parle parfois d’un squelette dont s’échappait de ses globes vides une lumière rouge, quiconque voyait ce « regard » était alors tétanisé, non par la magie, mais simplement par la peur. Ce regard ne signifiait qu’une chose, la mort était déjà sur toi et aucune aide, même divine, ne changera ce fait. D’autres parlaient d’une créature à cornes, grande comme trois ours, avec des cornes de la taille d’une lance et pointues comme la plus fine des lames.

Si cette créature est aussi tristement célèbre à travers toute l’île c’est principalement car elle signait ses crimes d’une marque que personne ne pouvait imiter. Les corps étaient dévisagés par la terreur, l’expression mourir de peur prenant alors tout son sens. Plus incroyable encore, les corps étaient vidés de la moindre goutte de sang, on pensa ainsi à un vampire, mais les corps n’étaient que rarement abîmés et surtout sans traces de canines.

A l’époque les démonistes et nécromanciens étaient rares, comment supporter ces monstres utilisant les pouvoirs de cet ennemi qui nous massacre ? Les quelques fous qui utilisaient cet art finissaient dans les flammes de l’Aube Divine, mais ceci est une autre histoire. Toujours est il que lorsque Azhnakra Irpajik, célèbre et tout aussi puissant nécromancien, fut capturé et amené sur le bûcher il regarda la foule avec un sourire, presque soulagé diront certains, puis ouvrit la bouge sans trembler et dit ces quelques mots :
« Je meurs heureux, car je n’aurais plus à vivre dans la crainte de le croiser. Je connais la puissance de la nécromancie, mais lui ne la connaît pas car si c’était le cas il n’aurait pas un tel pouvoir et ne franchirait pas avec la facilité d’un dieu ce que j’ai mis des décennies à entrevoir dans mes rêves les plus fous. »
Sur ces mots il se jeta de lui-même dans la fournaise de la mort en riant, le même rire qu’un enfant qui échappe à la punition qu’il sentait s’abattre sur lui. Il n’avait donné aucun nom, mais tout le monde savait de qui il s’agissait. Après tout, il avait été aperçu de nombreuses fois en compagnie d’une armée de morts vivants et ces corps déformés par la douleur mais en parfait état, quoi d’autre que de la nécromancie ?

A partir de ce moment, celui qui n’avait jamais eu de nom se mit à en avoir un, le faucheur d’âme, référence à son sombre art. Les rumeurs les plus folles circulaient, certains penser se rallier avec lui, il semblait invincible, c’était peut être le seul moyen de survivre. La famine, la maladie, la mort, la guerre, à quoi bon vivre ainsi, mort vivant est peut être plus agréable ou peut être qu’en le servant il pourrait nous épargner. Voici ce que pensaient les habitants effrayés. Une rumeur se répandit, un ordre composé des nécromanciens les plus talentueux s’était créé, ils étaient les serviteurs dévoués et dociles du faucheur. Ceux qui osaient ne serait ce que le contredire ne survivaient pas assez longtemps pour ne serait ce que regretter leurs paroles. Certains murmures allèrent plus loin encore, et si le faucheur d’âme était un dieu ?




L’Aube Divine

« Le faucheur d’âme un dieu ? Voici ta réponse, traître ! Meurt par la main de l’Aube Divine, ton maître ne te sauvera pas !»

Ce furent les dernières paroles qu’entendit l’un des supposés serviteurs de celui qui était devenu une légende, le nom qu’on souffle à l’oreille des enfants turbulents. Ces mots furent prononcés par le bourreau, ou plutôt, celui qu’on nommait La Main de l’Aube Divine.

L’Aube Divine était un ordre réservé aux paladins et prêtres priant avec ferveur les divinités dites bonnes. Ces hommes et ces femmes étaient plus dévoués à la cause du bien qu’à leur propre vie. Ils chassaient le mal sous toutes ses formes, démons, nécromanciens, gobelins, elfes de la nuit, bainites ou toute autre créature maléfique ne pouvait échapper à leur courroux. Ils étaient l’espoir et les héros de l’île. Ils semblaient même éblouir la nuit dans leurs tenues blanches comme l’écume la plus pure. Leurs esprits étaient aussi durs que l’acier de leurs fléaux, ils châtiaient toute forme de mal, non sans accorder un procès digne et populaire aux humanoïdes.

L’expansion du faucheur d’âmes était une atteinte à leur honneur et à la vie même. Ces traîtres qui préféraient rejoindre l’ombre du Mal plutôt que de suivre la voie lumineuse du Bien. Il fallait en finir, tuer tous les ennemis ne suffisait pas, chaque voisin pouvait en être un, et la peur était déjà bien trop présente, inutile d’y ajouter la suspicion. Il ne reste alors qu’une solution, en finir avec celui que démons comme humains craignent, le faucheur d’âmes.




Le rituel

Le conseil de l’Aube Divine se réunit, chacun y allant de sa proposition plus ou moins violente. Certains proposèrent de foncer toutes armes en avant, afin que, guidés par la volonté de leurs dieux respectifs, les chevaliers de la foi triomphent. Un autre suggéra que toute la ville prie à l’unisson à un moment précis pour demander une aide divine contre le démon. Finalement ce fut la proposition de la tour blanche qui l’emporta. Il fallait se rendre à l’évidence, le faucheur était invincible pour de simples mortels. Ils proposèrent donc, non pas de le tuer, mais d’enfermer l’être si puissant dans un autre plan. Cela serait sans doute insuffisant pour le chasser définitivement, mais ses pouvoirs seraient limités le transformant en un « simple » nécromancien de tout premier ordre, du moins tant que le corps et le pouvoir seraient séparés.

Le rituel s’organisa, tous les prêtres et les mages de l’Aube Divine étaient présents pour effectuer le rituel. Les adeptes de la magie étaient entourés d’une solide escorte composée de tous les guerriers que comptait l’ordre. Les quelques absents étaient ceux chargés d’attirer le faucheur d’âmes au lieu du rituel, une grotte terrée au fond de nulle part.

Le rituel était prêt, la sueur perlait sur les visages crispés des mages, le silence était total, laissant seulement place aux souffles irréguliers et aux tremblements que faisait naître la peur. Soudain des cris résonnèrent à l’entrée de la grotte, des cris de douleur, d’humains à qui on ôtait plus que la vie, l’espoir sans doute. Le sol tremblait de plus en plus, il arrivait. Lorsque la créature apparut les membres de l’ordre devinrent aussi blancs que leurs somptueuses tenues. De tous ceux partis chercher le monstre, il n’en restait qu’un, et pourtant il était seul. Lorsque le dernier survivant rejoignit ses compagnons dans la mort, le démon fixa ses yeux sur le groupe présent. Ce qui sembla être un sourire se dessina sur son visage et il se jeta avec délectation sur ses nouvelles proies, ou plutôt ses nouveaux jouets.

Le rituel commença, le démon arrivait à grands pas, vite il ne faut pas trembler, pas hésiter, l’échec de cette mission, la chute de l’Aube Divine, ce serait la fin pour la ville. Les gardiens du rituel se ruèrent sur leur adversaire, en silence, ils n’avaient pas besoin de courage, ils connaissaient leur sort, c’était suffisant, ils l’avaient tous accepté, ils avaient tous jurés d’aller jusqu’à mourir pour leur cause, l’heure de tenir ce serment était venu. Le combat était acharné, les gardes tombaient par poignées, mais la souffrance était partagée, jamais le faucheur d’âmes n’avait connu un tel combat. Le rituel approchait de sa fin, la victoire était promise aux hommes. Le démon s’arrêta net, lâchant la tête qu’il tenait dans la main, il avait fini par utiliser sa force en plus de sa magie, preuve de l’intensité du combat. L’espoir revint dans les ranges des chevaliers divins, jusqu’à ce qu’un rire glacial s’échappe de la gorge de l’immonde créature en face d’eux. A ce moment un bruit sourd se fit entendre, un des mages était tombé, son habit avait pris la couleur du sang. Incrédules ils s’effondraient les uns après les autres. L’apparition de magiciens leur fit comprendre que les serviteurs du faucheur existaient bien et n’étaient pas qu’une légende. Quoi qu’il se passe ils ne sortiraient pas de cette grotte, les cris se heurtaient aux parois mélangés aux sons des os cassés et des incantations démoniaques mais les corps ne s’effondraient plus. Mués par le courage et leur foi ils accomplirent le rituel jusqu’au bout. Une immense boule de lumière apparut dans la grotte, elle semblait vivante et cherchait sa cible. Elle se dirigea à toute allure vers le faucheur d’âmes, impossible à arrêter, tout corps entre les deux entités surhumaines était projeté à travers la cavité. Quand finalement elle atteint son but elle explosa en un violent flash aveuglant les rares survivants de part et d’autre. Toute personne présente sur l’île entendit alors un râle inhumain de haine et de jurons portée par le vent. La plupart n’y prêtèrent pas attention, n’entendant que le vent, mais durant la semaine qui suivit les habitants de l’île dormirent très mal, entendant des cris dans leur sommeil.

Trois jours après cet affrontement, une tunique non plus blanche, mais rouge sang et noire comme la terre se traîna à l’entrée de Cassandre. Sans doute le seul survivant de ces événements, il eut seulement le temps de conter cette histoire avant de laisser sa vie partir en murmurant « L’Aube Divine a triomphé ».

La nouvelle ne réjouit personne, l’Aube Divine avait vaincu mais cela avait sonné son crépuscule. Tous les habitants prièrent pour le repos de ceux qui avaient offert leur vie pour eux, espérant qu’un jour l’aube se lèverait à nouveau sur Cassandre mais pour le moment la menace était écartée. Lors de la veillée funèbre organisée à l’auberge deux simples phrases glacèrent le sang de tous les invités, ils décidèrent tous d’ignorer ces mots et de les oublier aussi vite et pourtant ils sonnaient comme la triste réalité, une réalité dont personne ne voulait.

« Si l’un des notre à survécu, c’est peut être possible qu’un nécromancien ait fait de même voir même le faucheur d’âmes. Et puis si c’est le cas il pourrait se faire une armée sacrément puissante avec tous les morts de l’Aube Divine. »

[...]Une guerre éclata entre les différents mages, chacun voulant prendre le contrôle de la ville. [...]
Quelques habitants avaient pu se mettre à l’abri, dans le manoir. Bien mal leur en pris, car leur sort ne fut pas meilleur. Les nécromanciens et démonologistes avaient créés de véritables armées, une partie de ces armées survécut à la bataille, certains réintégrèrent leur domicile d’autres continuèrent le combat. [...]
Après plusieurs années le manoir rouvrit ses portes. Une créature en sortit, seule. Le seul survivant du manoir devint rapidement une légende, on le considérait parfois comme un démon, parfois comme un mort vivant, seul son surnom demeura, le faucheur d’âmes. Les légendes disent que le manoir reste habité par des esprits, ceux des habitants massacrés ou ceux des créatures tuées, difficile à dire, et personne n’a vraiment envie de savoir.