Par une longue nuit à la garde d'une lune emmitoufflée dans son plus épais menteau de coton, une ombre s'est faufilée au travers de la ville. Recouverte d'une cape toute aussi sombre que forte de relents nauséabonds, elle se dirigea à petits pas irréguliers vers la plage. De sa capuche vivement agitée de droite et de gauche, les ombres purent statuer de son état d'incertitude ou d'inquiétude.
Prenant soin d'éviter de s'approcher de la chapelle en piètre état, elle fila vers les pontons de bois avant de disparaître.
Un murmure fut laissé à la discrétion de l'ignorance de chacun.
- Va petite, porter en toi, seul espoir de nos vies déchirées. Seul espoir de nous sortir de là. Ici tout pris, tout impossible. Eux mentir comme respirer...
L'ombre repartit tout aussi furtivement qu'elle était venue. Hâtivement, elle monta quatre à quatre les marches menant à la ville endormie. Sous le regard grimaçant des gardes, sous les rayons éparses et offerts avec parciemonie aux terres endolories d'un passé inéluctablement répété.
Le vent forcit au petit matin, balayant les herbes folles, initiant des balais de lavandes sèches et brisées, haletantes et dansantes au grès des bourrasques. Les pêcheurs étaient déjà actifs et l'on plissait les yeux face aux embruns marins. Les pipes coincées entre des lèvres émaciées et desséchées, se tendaient fièrement aux dessus des vagues. Certains hommes tanguaient dans de frêles embarcations quand d'autres assuraient leurs équilibre en bord de côte, assis sur des rochers dominants. C'est ici, non loin du phare que l'un deux délaissa son matériel pour rejoindre un point scintillant sur le sable, entre galets et algues arrachées aux fonds marins ballotés par les courants.
Une bouteille vint se reposer dans sa main. Un parchemin préservé par un bouchon étanche. L'homme se mit dans un coin abrité et commença à le déplier. De prime abord, il grimaça et laissa échappé un rire accompagné d'un rictus étrange. Alors son visage se figea, prenant les traits intéressés d'un esprit empreint de reflexion.
"Abandonner ici larmes et tristesses. Offrir à l'inconnu quelques mots. Voguer et trahir certitude des langues fourchues. Eux gardiens de cette prison.
Nous perdre souvenir du conflit, du tout premier. Faute être partagée mais oubliée et pourtant combat durer. Enfants d'enfants, sans cesse répétés. Crime commis justifiés tour à tour chez uns et chez autres.
Jourd'hui ça être nous. Tour de nous de nourrir haine et rancune. Sûr que années venir où eux pleurer et demander pourquoi.
Car eux oublier avant que vengence tomber. Pourtant nous subir vengence de chose que nous oublier aussi.
Cercle sans fin.
Pourquoi eux dire impossible repartir et garder jalousement cette porte maudite?
Si porte fermée pour toujours eux pouvoir construire ville ailleurs et laisser nous comprendre nous bloquer.
Peut-être eux encore mentir et aller, venir comme eux vouloir.
Moi passer contre volonté du chef. Moi marcher et toucher porte ronde. Elle pas bouger, elle pas emmener moi.
Alors moi penser que toi pourrais aller là où nous pas pouvoir.
Si quelqu'un trouver message, nous prisonnier île, nous prisonnier des humains. Ville dire être Cassandre et île être leur royaume dire Almirande.
Moi croire eau infinie plus forte que porte fermée.
Vogue petite bouteille, bateau d'espoir...
Toi qui liras, moi plus chance être lu par autre que mon peuple, mieux chance être comprendre alors moi écrire commun"
Le pêcheur enroula de nouveau le parchemin pour finir par le caler dans sa ceinture. Haussant les épaules, il retourna à son affaire où il ne cessa d'épier l'horizon.
Les soirs de tavernes offriront alors peut-être un échos à tout ceci...