On raconta par la suite que la créature était arrivée par le sud, marchant résolument à travers les rues pavées du quartier Nord. Elle allait à pied, une sacoche en bandoulière et un sac de toile usé à la main. L’après-midi était bien avancé, boulangers et épiciers avaient déjà fermé leurs échoppes, les ruelles étaient moins fréquentées qu’en journée. En dépit du beau temps, l’homme portait un sombre manteau jeté sur ses épaules. Sa peau était luisante, son regard mettait mal à l’aise, et quelque chose semblait s’agiter mollement dans ses cheveux. Il attirait l’attention.
Il s’arrêta devant l’auberge Aux Quatre Vents. Il demeura planté là quelques minutes, à écouter le brouhaha des conversations. L’auberge, comme d’habitude à cette heure-ci, était noire de monde. L’inconnu poussa la porte, et se dirigea sans hésitation vers le comptoir. Le patron leva la tête de son tonneau de cornichons marinés pour toiser son client. L’étranger, qui n’avait pas ôté son manteau ni délaissé ses maigres possessions, se tenait devant le bar; raide, figé, il ne disait mot.
- Qu’est-ce que ce sera?
- Une bière, répondit l’inconnu d’une voix qui était tout sauf agréable, les yeux rivés sur le panneau sur lequel étaient épinglées toutes les annonces.
L’aubergiste s’essaya les mains à son tablier de toile et remplit une chope de verre. La chope était ébréchée.
L’inconnu semblait d’âge mûr, mais ses cheveux étaient pratiquement blancs. Ses yeux, d’un noir de jais, et les étranges appendices tentaculaires qui tressaillaient imperceptiblement sur son crâne provoquaient les murmures de l’assistance. Sous son manteau, il portait un pourpoint de cuir râpé, lacé à l’encolure et sur les manches. Quand il se débarrassa de celui-ci, tous remarquèrent le fourreau vide suspendu à sa ceinture. Qu’il eût une arme n’avait en soi rien de surprenant: en cette époque troublée, presque tout le monde se promenait armé, même dans l’enceinte de la cité. Cependant, personne ne se déplaçait avec un fourreau dénué de lame.
L’inconnu n’alla pas s’asseoir à une table, au milieu de la foule de clients. Il resta au comptoir, scrutant le gérant. Il avala une gorgée de bière.
- Je cherche une chambre pour la nuit.
Puis tendant un doigt en direction de l’affiche qui l’intéresse:
- Et faites donc savoir à cette personne que je l’attendrai ici.